Les profondes défaillances de notre modèle d’approvisionnement : 3 points à retenir
La crise du Covid-19 est une véritable mise à l’épreuve à échelle mondiale pour les métiers de la logistique. Elle met en avant les faiblesses et fragilités d’une multitude de processus et rouvre le débat du renforcement de la résilience de nos chaînes d’approvisionnement face aux ruptures non prévisibles. Les experts jugent aujourd’hui indispensable de repenser le modèle pour limiter les impacts d’autres chocs mondiaux à l’avenir.
3 principales défaillances de la chaîne d’approvisionnement sont responsables des problématiques récurrentes rencontrées depuis plusieurs décennies.
1. La dépendance à des points d’approvisionnement internationaux
Comme vu dans les articles précédents, de nombreuses entreprises ont connu des ruptures de leur chaîne d’approvisionnement durant la crise du coronavirus, menant à l’allongement de leurs délais de livraison, une baisse d’activité, voire même parfois un arrêt total de leur fonctionnement et la fermeture de leurs sites.
Ce phénomène s’explique en grande partie par la grande dépendance des entreprises aux sources d’approvisionnement internationales. Cette première faiblesse du modèle est le résultat d’une stratégie d’approvisionnement mise en place quasi systématiquement depuis plusieurs décennies.
Les relocalisations de la production vers les pays à faibles coûts sont généralement citées comme faisant partie des principales raisons pour lesquelles les chaînes d'approvisionnement sont devenues mondiales. En réalité, le design international des chaînes d’approvisionnement modernes se base sur le principe économique de l’avantage comparatif des nations, à savoir que les pays ont tendance à produire les biens et services pour lesquels ils ont la meilleure productivité, le meilleur avantage technologique ou le meilleur avantage naturel par rapport au reste du monde. Cette théorie, évoquée pour la première fois par David Ricardo en 1817, se concrétise aujourd’hui dans une certaine mesure par l’existence de réelles disparités dans les spécialisations des nations et par la dépendance de toute l’économie mondiale pour l’achat de certains produits spécifiques à une poignée de pays qui en sont les seules sources viables. C’est aujourd’hui le cas pour certains minerais comme le cobalt, composant indispensable des batteries qui équipent nos appareils mobiles, dont la grande majorité de la production mondiale (59,5%) provient de la République Démocratique du Congo (R.D.C.). (1)
Il est ainsi essentiel pour toute entreprise soumise à la compétition de s’ouvrir aux approvisionnements internationaux afin de profiter du meilleur produit au meilleur prix.
Le défi consiste toutefois à quantifier les avantages de la production offshore ainsi que les raisons de ces avantages. Alors que de nombreuses entreprises profitent de réductions des coûts grâce à la délocalisation, d'autres réalisent que les avantages des délocalisations vers des pays à bas coûts sont bien moins importants que prévus, voire inexistants sur la durée du fait des faiblesses de ce modèle en période de crise (voir les 5 types de crises capables de déstabiliser la chaîne d'approvisionnement).
Durant l’épisode Covid-19, une fois les usines chinoises arrêtées puis les restrictions sur les échanges internationaux instaurées, il est presque devenu impossible pour certaines entreprises de s’approvisionner normalement.
Une étude effectuée par l’entreprise Resilinc et partagée par la Harvard Business Review (2) montre la forte dépendance des 1000 plus grandes entreprises mondiales aux zones en quarantaine de la Chine, la Corée du Sud et l’Italie pendant la crise du Covid-19. L’impact subit par la plupart de ces entreprises fût très important du fait de la dépendance de ces dernières à une source d’approvisionnement unique pour des composants à l’importance critique. Beaucoup n’ont pas su évaluer l’ampleur de leur dépendance aux zones en quarantaine du fait d’un mapping trop sommaire de leurs fournisseurs au-delà du rang 1.
Malheureusement ce scénario n’est absolument pas nouveau. Il a par exemple déjà été analysé après le tremblement de terre et le tsunami de 2011 au Japon. Cette catastrophe naturelle avait eu comme conséquence d'entraîner une rupture des approvisionnements en microprocesseurs. À l’époque, cet événement avait gravement impacté de grandes entreprises spécialisées dans l’informatique ou l’automobile qui dépendaient d’une poignée de fournisseurs spécialisés pour l'approvisionnement de leurs pièces critiques.
Les responsables de la chaîne d'approvisionnement connaissent les risques sur le long terme d'une source unique, mais continuent de préférer ce modèle pour atteindre leurs objectifs de coûts mais aussi souvent par contrainte : pour certaines pièces ou certains niveaux de volumes, le panel de fournisseurs viables reste très limité et souvent localisé en Chine.
2. Le manque de visibilité sur l’interdépendance des fournisseurs
Les conséquences des crises peuvent se restreindre à une échelle locale, comme ce fut le cas pour les incendies en Australie de 2019 impactant le secteur routier. Néanmoins, dans leur forme les plus graves, les crises peuvent impacter le monde entier, comme l’éruption du volcan Eyjafjöll de 2010 qui a perturbé le trafic aérien mondial ou plus récemment la crise du Covid-19 durant laquelle beaucoup d’entreprises ont vu leurs échanges opérationnels vers leurs fournisseurs internationaux coupés.
Dans la plupart de ces cas, la visibilité et la capacité de prévision des entreprises de la chaîne d’approvisionnement vis-à-vis de leurs fournisseurs et clients ont été largement affectées, complexifiant davantage la planification de leurs opérations.
Dans le contexte de la crise du Covid-19, l’ISM (Institut for Supply Management) a déterminé que 53 % des entreprises étudiées pendant le mois de février et début mars 2020 ont rencontré des difficultés pour obtenir des informations de leurs fournisseurs étrangers directs (3). Parmi elles, 44% n’avaient aucun plan de secours pour compenser ce manque d’information et les ruptures de biens associées.
Dans le cas des entreprises qui ont su garder un lien fort avec leurs fournisseurs directs, l’étude rapporte que leur visibilité est restée très faible par rapport à la situation de leurs fournisseurs de rang 2 et 3. Encore aujourd’hui, beaucoup d’entreprises luttent pour identifier ce tissu de fournisseurs « cachés », ce qui représente une menace certaine pour leurs activités sur le long terme.
Les systèmes d’information jouent un rôle primordial dans la visibilité de la chaîne d’approvisionnement globale et la prise de décision associée. Dans la plupart des cas, la bonne exécution du flux de biens physiques du fournisseur vers ses clients s’appuie sur un flux d’information logique. Les prestataires et les parties prenantes de la chaîne logistique se basent sur ce flux informatique pour synchroniser leurs opérations. C’est lorsque les systèmes d’information sont cloisonnés que la complexité s'accroît : un effort humain régulier doit être consentis pour que le flux d’information soit partagé en temps voulu. À la moindre perturbation nécessitant la réaffectation des ressources humaines de l’entreprise à des tâches urgentes, le flux d’information interentreprises est mis à mal. Cela motive de plus en plus d’entreprises à collaborer pour créer des écosystèmes communs, permettant aux informations d’être partagées et consultées en temps réel. Ces systèmes communs permettent de gagner en efficacité opérationnelle tout en renforçant durablement le lien client-prestataire
Pourtant, l’intégration de systèmes d’information communs dans les chaînes d'approvisionnement peine à se développer. La plupart des entreprises reposent encore sur des systèmes autocentrés peu coûteux mais rapidement mis en difficulté en période de crise. À l'inverse, les coûts d'investissement des systèmes d’information communs restent élevés et impliquent une collaboration sur le long terme pour être rentabilisés.
3. La dépendance à la main-d’œuvre pour des activités automatisables
La crise pandémique du Covid-19 a bouleversé les modes de fonctionnement habituels des entreprises. Dans un premier temps, beaucoup d’entreprises ont commencé à renvoyer leurs employés à leur domicile par mesure de sécurité avant qu’une mise en quarantaine soit instaurée. Ces décisions ont drastiquement affecté la disponibilité de main-d’œuvre dans presque tous les secteurs. Dans de nombreux cas, les entreprises ont vu leurs activités s’arrêter, non pas à cause d’un manque de commandes ou d’approvisionnement, mais bien par un manque de main-d’œuvre.
On peut s’apercevoir que les entreprises reposant l’essentiel de leurs activités sur la main-d’œuvre se sont retrouvées davantage en difficulté que les autres.
À contrario, les entreprises qui avaient joué la carte de l’investissement dans l’automatisation de certaines de leurs activités s’en sont globalement mieux sorties.
Le nombre de robots industriels pour 10 000 employés s’élève à 154 pour la France, un taux inférieur à celui de tous ses voisins (l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie et la Suisse affichent une moyenne de 208) (4). De plus, l’âge moyen du parc de machinerie de l’Hexagone est de 17 ans (5). Malgré ce constat, la France continue d’investir 3 à 4 fois moins que ses voisins dans les équipements industriels (6), délaissant les deux composants fondamentaux de l’industrie 4.0, à savoir l’importance de l’automatisation et de la modernisation de l’outil industriel.
À titre comparatif, les pays en avance sur le domaine affichent des taux de 831 (Singapour) et 774 (Corée du Sud) robots industriels par 10 000 employés : plus de 4 fois ceux de la France (154) et du Canada (172). Cet écart massif entre les économies développées démontre que la dynamique de la robotisation n'a pas été suivie uniformément.
Il existe tout de même une forte tendance de fond vers l’automatisation, mais cette transition peine à prendre de la vitesse dans certaines grandes économies, créant des écarts de dépendance à la main-d’oeuvre au sein même des chaînes d’approvisionnement mondiales.
Dans l’état d’avancement actuel, l’avance de certains pays dans l’automatisation de leurs activités de production ou de logistique ne garantit pas la sécurité de leurs entreprises dans le cas d’une crise de la main-d’oeuvre mondiale : une telle crise affecterait la capacité des pays en retard à maintenir leurs engagements de livraisons/achats auprès des pays à forte robotisation.
Cette modernisation soulève l’épineuse question de la place des hommes dans l’industrie. Dans un esprit de complémentarité plutôt que de substitution, le rôle des opérateurs tend à évoluer vers le support des machines via du contrôle, de la maintenance, ou l'exécution de tâches demandant un niveau de dextérité élevé qui constituent toujours une barrière à la robotisation. Les tâches d’exécution sont affectées aux robots, qui se montrent globalement plus efficaces pour réaliser des tâches répétitives, dangereuses ou pénibles, nécessitant de la fiabilité et de la précision dans la répétition.
Aujourd’hui, ces 3 défaillances restent profondément inscrites dans les fondements du modèle, mais il existe des pistes d’amélioration qui tendent à faire consensus. Il est primordial de mieux se préparer en prenant connaissance des 4 principaux axes de modifications à privilégier pour mieux protéger sa chaîne d’approvisionnement.
Rendez-vous la semaine prochaine pour en savoir plus.
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Sources
(1) https://www.lelementarium.fr/element-fiche/cobalt/
(2) https://hbr.org/2020/03/coronavirus-is-proving-that-we-need-more-resilient-supply-chains
(3) https://www.instituteforsupplymanagement.org/news/NewsRoomDetail.cfm?ItemNumber=31175
(4) https://ifr.org/ifr-press-releases/news/robot-investment-reaches-record-16.5-billion-usd
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